Re: Article sur l'état actuel des recherchers sur les origines du chien

OK, j'en suis à un peu plus de la moitié, je t'envoie mon texte d'ici la fin de la journée :)


Et hop, voilà ma proposition de traduction. Merci encore à toi Jonathan pour ta relecture :)

L’histoire de la domestication du chien est celle d’une très ancienne collaboration entre chiens (Canis lupus familiaris) et humains. Ce partenariat se basait à l’origine sur le fait que les humains avaient besoin d’aide pour les troupeaux et la chasse, d’un système d’alerte et d’une source de nourriture, en plus du besoin de compagnie que beaucoup connaissent et apprécient encore aujourd’hui. En retour, les chiens recevaient affection, protection, refuge et source fiable de nourriture.

Mais le moment exact où cette collaboration est apparue fait encore débat.

L’histoire du chien a récemment été étudiée à l’aide de l’ADN mitochondrial, qui suggère que les loups et les chiens se sont scindés en deux espèces différentes il y a environ 100 000 ans. Bien que l’analyse de l’ADN mitochondrial ait mis en lumière des faits de domestication ayant pu se produire entre 40 000 et 20 000 ans avant notre ère, les chercheurs ne partagent pas tous le même avis quant aux résultats. Certaines analyses suggèrent que la domestication du chien est apparue en Asie de l’Est, d’autres au Moyen-Orient, et d’autres parlent d’une domestication ultérieure en Europe.

À ce jour, les données génétiques ont montré que l’histoire du chien est aussi complexe que celle des peuples auprès de qui il a vécu, ce qui appuie la théorie d’une étroite collaboration homme-chien, mais complique celle de ses origines.

Deux domestications ?

En 2016, une équipe de recherche dirigée par l’archéobiologiste Greger Larson (Frantz et al. cités ci-dessous) a identifié grâce à l’ADN mitochondrial deux régions d’origine du chien domestique : l’une à l’est de l’Eurasie, et l’autre à l’ouest. Selon cette étude, les chiens asiatiques sont apparus suite à la domestication de loups asiatiques, il y a au moins 12 500 ans, tandis que les chiens européens du Paléolithique sont apparus suite à une domestication distincte de loups européens il y a au moins 15 000 ans.

Le rapport indique qu’ensuite, un peu avant la période néolithique (il y a au moins 6 400 ans), les hommes auraient fait venir des chiens asiatiques en Europe, où ils auraient remplacé les chiens européens du Paléolithique.

Ceci expliquerait pourquoi certaines études génétiques antérieures indiquaient que tous les chiens modernes sont issus d’une seule et même domestication tout en démontrant l’existence de preuves de deux domestications survenues dans deux régions éloignées. L’hypothèse suppose qu’au Paléolithique, il existait deux populations de chiens, mais que l’une d’elles (le chien européen du Paléolithique) est aujourd’hui éteinte. De nombreuses questions restent en suspens : la plupart des données ne mentionnent aucun chien préhistorique américain. Par ailleurs, Frantz et al. suggèrent que les deux espèces progénitrices descendent de la même population de loups, et qu’elles sont toutes les deux éteintes de nos jours.

Mais d’autres chercheurs (Botigué et ses collègues, cités ci-dessous) ont mené l’enquête et trouvé des preuves allant dans le sens de plusieurs migrations à travers les steppes d’Asie centrale, mais pas d’une substitution complète de l’espèce. Ils n’ont pas réussi à démontrer que l’Europe n’était pas le lieu d’origine de la domestication.

Les données : les premiers chiens domestiqués

À ce jour, la plus ancienne preuve avérée de domestication du chien provient d’un lieu de sépulture en Allemagne appelé Bonn-Oberkassel, où des restes humains et canins datant de 14 000 ans ont été trouvés au même endroit.

En Chine, la premi̬re trace de chien domestiqu̩ a ̩t̩ trouv̩e dans la province du Henan, sur le site de Jiahu, qui date du d̩but du N̩olithique (7 000 Р5 800 avant notre ̬re).

Des preuves de coexistence entre chiens et humains, mais pas nécessairement de domestication, ont été trouvées sur des sites du Paléolithique supérieur en Europe, notamment les grottes de Goyet en Belgique, la grotte Chauvet en France et Předmostí en République tchèque, où des traces d’interaction entre chiens et humains ont pu être mises en évidence. Des restes canins provenant de certains sites mésolithiques européens comme Skateholm (5 250 – 3 700 avant notre ère), en Suède, témoignent de l’importance qu’accordaient les tribus de chasseurs-cueilleurs aux bêtes à fourrure.

En Amérique, c’est dans la grotte « Danger Cave » dans l’Utah qu’ont été trouvées les restes canins les plus anciens (11 000 ans), appartenant probablement à un descendant des chiens asiatiques. Des hybridations successives avec le loup, qui interviennent systématiquement dans l’évolution du chien, quelle qu’en soit la provenance, auraient vraisemblablement donné naissance au loup noir des Amériques.

Le pelage noir est une caractéristique propre au chien, que l’on ne retrouve pas chez le loup à l’origine.

Chiens personnifiés

Certaines analyses de sépultures canines datées à la fin du Mésolithique/début du Néolithique (période Kitoi) dans la région sibérienne du Cis-Baikal suggèrent que dans certains cas, les chiens recevaient le statut de « personne », et les hommes les traitaient d’égal à égal. Sur le site de Shamanaka ont été retrouvés les restes d’un chien mâle d’âge moyen ayant souffert de blessures à la colonne vertébrale, dont il avait guéri. La dépouille, datée au carbone 14 à environ 6 200 ans (avant notre ère), était enterrée dans un cimetière officiel, à l’image des humains inhumés au même endroit, ce qui porte à croire que ce chien était considéré comme un membre de la famille.

Des restes d’un loup mâle adulte ont également été trouvés au cimetière de Lokomotiv-Raisovet (environ 7 300 ans avant notre ère). Une analyse des isotopes stables a permis d’identifier que le loup se nourrissait de venaison, mais pas de céréales. Ses crocs étaient usés, mais il n’y a aucune preuve directe que ce loup faisait partie de la communauté. Et pourtant, il fut lui aussi enterré dans un cimetière officiel.

Ces sépultures sont exceptionnelles, mais pas si rares : il en existe d’autres, mais on sait aussi que les chasseurs-cueilleurs de Baikal mangeaient du chien et du loup, comme en témoignent des restes et fragments d’os brûlés trouvés dans des fosses à ordures. Pour l’archéologue Robert Losey et ses associés, qui ont conduit cette étude, ces éléments indiquent que les chasseurs-cueilleurs du Kitoi considéraient au moins ces chiens-là comme des « personnes ».

Races modernes et origines antiques

En Europe, plusieurs sites du Paléolithique supérieur contiennent des traces de l’apparition de différentes variétés de races.

Des chiens de taille moyenne (entre 45 et 60 cm au garrot) ont été identifiés dans des sites natoufiens au Proche-Orient (Mureybet en Syrie, terrasse d’Hayonim et Ein Mallaha en Israël, et la grotte de Pelagawra en Irak), et datés à environ 15 500 – 11 000 ans avant notre ère). Des chiens de taille moyenne à grande (au-delà de 60 cm au garrot) ont été identifiés en Allemagne (Kniegrotte), en Russie (Eliseevichi I), et en Ukraine (Mezin), et datés à environ 17 000 – 13 000 ans avant notre ère. Des chiens de petite taille (moins de 45 cm au garrot) ont été identifiés en Allemagne (Oberkassel, Teufelsbrucke, et Oelknitz), en Suisse (Hauterive-Champreveyres), en France (Saint-Thibaud-de-Couz, Pont d'Ambon) et en Espagne (Erralia), et datés à environ 15 000 – 12 300 ans avant notre ère.

Mais une étude récente de fragments d’ADN appelés SNP (single-nucleotide polymorphism – polymorphisme d'un seul nucléotide) identifiés comme marqueurs de races de chiens modernes, publiée en 2012 (Larson et al), tire des conclusions surprenantes : malgré une nette différenciation de taille chez les chiens primitifs (p. ex. les chiens de petite, moyenne et grande tailles trouvés à Svaerdborg), ces derniers n’ont rien à voir avec les races de chiens modernes, qui n’ont pas plus de 500 ans, et dont la plupart sont apparues il y a environ 150 ans.

Théories sur l’origine des races modernes

Les scientifiques s’accordent désormais pour dire que la majorité des races de chiens d’aujourd’hui sont issues de développements récents. Mais les innombrables variétés de chiens sont le fruit d’anciens processus variés de domestication. Les différentes races vont du chien toy (moins de 5 kg) aux énormes mastiffs pesant plus de 90 kg.

De plus, les races ont différentes proportions membres-corps-crâne et ont été sélectionnées en fonction d’aptitudes diverses : troupeau, rapport, détection d’odeurs, guidage...

Cela peut s’expliquer par le fait que la domestication est apparue alors que les Hommes étaient tous chasseurs-cueilleurs, et avaient donc un mode de vie principalement nomade. Les chiens ont évolué à leurs côtés, et pendant un certain temps, les populations canines et humaines se sont donc développées dans des régions géographiques distinctes. Mais la croissance démographique et les réseaux commerciaux ont fini par pousser les populations à recréer des liens, et pour les scientifiques, c’est ce qui a entraîné une telle diversité génétique dans la population canine.

Lorsque les races de chiens ont commencé à être activement développées il y a environ 500 ans, elles ont été créées à partir d’un pool génétique relativement homogènes constitués de chiens aux héritages génétiques variés, issus de régions très disparates.

Avec l’apparition des clubs de race, l’élevage est devenu sélectif, mais les deux guerres mondiales ont perturbé ce phénomène, décimant ou allant jusqu’à causer l’extinction de cheptels du monde entier. Les éleveurs ont depuis recréé ces races à partir de quelques individus ou en croisant des chiens de races similaires.

Sources :

Merci aux chercheurs Bonnie Shirley et Jeremiah Degenhardt pour nos passionnants échanges autour du chien et de son histoire. Les études sur la domestication du chien étant très nombreuses, en voici une liste des plus récentes.

Botigué LR, Song S, Scheu A, Gopalan S, Pendleton AL, Oetjens M, Taravella AM, Seregély T, Zeeb-Lanz A, Arbogast R-M et al. 2017. Ancient European dog genomes reveal continuity since the Early Neolithic. Nature Communications 8:16082.
Frantz LAF, Mullin VE, Pionnier-Capitan M, Lebrasseur O, Ollivier M, Perri A, Linderholm A, Mattiangeli V, Teasdale MD, Dimopoulos EA et al. 2016. Genomic and archaeological evidence suggests a dual origin of domestic dogs. Science 352(6293):1228–1231.
Freedman AH, Lohmueller KE, and Wayne RK. 2016. Evolutionary History, Selective Sweeps, and Deleterious Variation in the Dog. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics 47(1):73–96.
Geiger M, Evin A, Sánchez-Villagra MR, Gascho D, Mainini C, and Zollikofer CPE. 2017. Neomorphosis and heterochrony of skull shape in dog domestication. Scientific Reports 7(1):13443.
Perri A. 2016. A wolf in dog's clothing: Initial dog domestication and Pleistocene wolf variation. Journal of Archaeological Science 68(Supplement C):1–4.
Wang G-D, Zhai W, Yang H-C, Wang L, Zhong L, Liu Y-H, Fan R-X, Yin T-T, Zhu C-L, Poyarkov AD et al. 2015. Out of southern East Asia: the natural history of domestic dogs across the world. Cell Research 26:21.


Sujet écrit par TyphLT le mercredi 2 mai 2018 à 21:27

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